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LE CHEF SUR LE GRILL
Par Michel Fustier

Le chef responsable d'un restaurant d'entreprise a entrepris de former sa petite équipe d'une dizaine de personnes, pour la rendre plus performante, Il y rencontre beaucoup de difficultés. Une jeune serveuse, qui est astucieuse et qui a fait des études, lui propose une approche qui pourrait réussir.


1 (Le chef est installé sur le coin d'une table du restaurant)
SUZANNE - (entrant avec son manteau) Encore au travail, chef?
LE CHEF - Faut bien que je tienne mes comptes...
SUZANNE - Ca n'est pas du travail de cuisinier, ça, tenir les comptes!
LE CHEF - Peut-être bien, mais ça prend du temps et si ce n'est pas moi qui le fait, qui est-ce qui le fera: tu vois bien! Qu'est-ce que tu veux, Suzanne?
SUZANNE - Je voulais m'excuser, monsieur Moustache.
LE CHEF - Ah oui, tu veux dire pour tout à l'heure ...
SUZANNE - Je n'ai pas été très gentille.
LE CHEF - Oui. C'est le moins qu'on puisse dire.
SUZANNE - Je m'en rends bien compte. J'ai même été un peu grossière...
LE CHEF - Moi qui fais tout ce que je peux pour... enfin pour vous former!
SUZANNE - Vous n'y êtes pour rien. Mais que voulez-vous? Faire des calculs polytechniques pour calculer le prix de revient au millimètre de la tasse de café. La règle de trois, ça suffit... Vous allez me foutre à la porte?
LE CHEF - Mais non, je ne vais pas te foutre à la porte, j'en ai entendu d'autres... Mais je suis un grand sensible, moi et quand...
SUZANNE - Encore une fois, je m'excuse, chef. Vous savez, moi, quand j'ai fait ma journée, j'ai fait ma journée: et c'est déjà assez dur comme ça. Et à la fin, je suis à cran. Et alors, quand il faut encore que j'apprenne le rendement de la machine à café ...
LE CHEF - Ah! Quand tu as fini ta journée ... Parce que tu crois que, quand j'ai fini la mienne, je ne suis pas à cran, moi-aussi, et tu crois que ça m'amuse cette histoire de "formation interne", comme ils disent.
SUZANNE - Je ne sais pas, chef. Oui, ça ne m'étonne pas! Mais je n'y suis pour rien. Il en faut, pourtant, C'est bien, la formation, ça se fait, on le dit partout. Je n'aurais pas dû...
LE CHEF - C'est gentil de t'excuser... Mais moi, ça m'est tombé dessus comme une claque: Une fiche, puis encore une fiche et encore une... Une pluie de fiches. C'est Comme les feuilles d'impôt: il n'y a plus qu'à payer... je veux dire qu'à "former", Je vous aurais bien distribué des photocopies: mais non, il fallait que je vous réunisse... Moi, je suis un cuisinier: je n'ai jamais parlé qu'à mes fourneaux; et ils me comprennent, eux.
SUZANNE - C'est vrai, chef, qu'en dehors d'eux ... vous allez dire que je vous poursuis! vous n'êtes déjà pas très causant.
LE CHEF - Je m'en voudrais. Le blabla, moi, je ne peux pas supporter. Et il faudrait, moi, que je fasse du blabla ... Je ne suis déjà pas tellement sûr de bien parler français ... Et il faudrait, moi, que je mette au tableau noir et que j'écrive dessus ... C'est comme ça, la formation! Et des fois que je ferais des fautes. Et puis il faudrait, moi, que je monte sur une grande estrade: plus le singe grimpe haut, plus il montre son derrière! ... Et puis j'aurais eu une règle pour taper sur la table... Et de l'autre côté de la table, avec leur cahier pour prendre des notes, tous les pauvres gars du service: dont quelques-uns ne savent pas mieux écrire que moi je sais parler... Je ne dis pas ça pour toi, qui as de l'instruction. Mais justement, mes fautes, tu les aurais tout de suite repérées. Au fourneau, je suis fort, mais au tableau...
SUZANNE - Monsieur Moustache, d'abord je trouve que vous parlez très bien. Et puis dans votre métier, vous savez tellement plus de choses que nous... Vous en auriez beaucoup à nous apprendre.
LE CHEF - C'est gentil... Oui, mais pour savoir dire, suffit pas de savoir! Je t'assure: on peut savoir sans savoir dire. Et puis, ma gueule, tu crois qu'ils ne l'ont pas assez vue, les types, depuis le temps que je suis là? Je leur sors déjà par les yeux.
SUZANNE - Oh, mais non, chef... tout de même pas. Vous vous faites des idées!
LE CHEF - Si seulement ils étaient venus nous montrer, les inspecteurs ... Ils seraient venus, là, ils auraient réuni le personnel, ils auraient fait leur petit speech et ils auraient dit: voilà, c'est comme ça, la formation, Et le personnel aurait applaudi... enfin c'est une supposition. En tout cas, ils auraient fait le trou et nous autres, après, on aurait eu vu que ça marche et on n'aurait eu qu'à suivre, comme le fil qui court derrière l'aiguille.
SUZANNE - Ca, c'est vrai, monsieur Moustache! Ils auraient dû vous montrer comment on fait... Mais enfin, vous ne me direz tout de même pas qu'ils ne vous ont pas formés pour être capables...
LE CHEF - Mais non. Juste un papier d'en haut: réunissez votre personnel ... comme s'ils s'imaginaient que c'est facile... Nous, quand le travail est fait qu'est-ce que tu veux qu'on demande de plus! Et quand tout le monde sera là, un quart d'heure pour faire ci, cinq minutes pour dire ça... mais surtout commencer à l'heure, finir à l'heure... Là ils sont très rigoureux. Ils ne veulent pas que ça empiète sur les loisirs des salariés.
SUZANNE - Oui, c'est gentil: mais en fait de loisirs, c'est quand même du boulot à faire en plus.
LE CHEF - Si c'est du vrai boulot, je ne le sais pas; mais que ce soit en plus, ça c'est certain. Ils espéraient peut-être que vous ne vous en seriez pas aperçus.
SUZANNE - On aurait bien voulu ne pas s'en apercevoir. Pourtant, ça saute aux yeux, chef.
LE CHEF - Je ne peux pas quand même dire aux gens de bâcler le travail pour apprendre à mieux le faire ...
SUZANNE - Ou alors, il faudrait qu'on voie bien à quoi ça sert ...
LE CHEF - (ironique) Et pourquoi est-ce que leurs fiches, ils ne les ont pas mis sous forme de recette: prendre le salarié dans la main gauche et le plumer avec la main droite. Puis le plonger dans de l'eau que vous aurez amenée à ébullition. Laissez frémir pendant trente minutes ...
SUZANNE - Vous êtes un poète, monsieur Moustache. Et encore une fois, quand vous le voulez, vous vous faites drôlement bien comprendre.
LE CHEF - Bon, bon, je discute avec toi comme ça, je me laisse aller... (changeant soudain de ton) J'efface tout et je recommence... Enfin. je ne vous comprends pas! Vous êtes tous payés par l'entreprise pour faire ce qu'on vous dit. Donc, on vous convoque, vous venez. nous écoutez, vous apprenez. et surtout vous comprenez ...
SUZANNE - Vous savez, chef, quand on n'a pas soif...
LE CHEF - Faut se forcer un peu. Et en plus c'est pour votre bien, cette formation.
SUZANNE – Oui, mais ce n'est pas comme ça qu'il faudrait s'y prendre... Et il ne faudrait pas non plus sacrifier les clients
LE CHEF - Ils ont bon dos, les clients ...

2
( le client est entré pendant les dernières répliques)
LE CHEF - Qui est-ce, celui-là?
SUZANNE - Justement c'est un client.
LE CHEF - Il nous embête. C'est fermé, C'est plus l'heure.
SUZANNE - Mais non, un client est toujours bienvenu: d'ailleurs je le connais, il a juste oublié son agenda... Je l'avais mis de côté. Tenez ...
LE CLIENT - - C'est bien ça. Merci, Suzanne... Sans vous j'étais perdu... Bonsoir monsieur Moustache! (ouvrant l'agenda) Ah bon! Je croyais être en retard, mais ce n'est qu'à cinq heures que j'ai mon rendez-vous... Offrez-moi donc un verre... Eh bien, qu'est-ce que vous faites là tous les deux à discuter sur le coin de la table après les heures de service.
SUZANNE - Oh, il n'y a pas de mystère: on parlait formation... Le chef m'expliquait...
LE CHEF - Je n'expliquais rien du tout: je n'y arrive pas!
LE CLIENT - Ah, ah, formation, vaste sujet! Mais il me semble que je viens d'entendre aussi prononcer le mot "client". ..
SUZANNE - On a dit "client", monsieur Moustache?
LE CHEF - Oui, enfin c'est à dire... à propose de la formation, on en était venus, tout à fait par hasard, au détour du chemin, pour ainsi dire, à prononcer le mot client. On s'excuse.
LE CLIENT - Mais ne vous excusez pas. Il me semble difficile aujourd'hui de parler formation sans parler client.
LE CHEF - Non, non, le client c'est sacré. La formation, c'est pour le personnel... je veux dire pour le bien du personnel.
LE CLIENT - Mais votre formation, dites-moi au moins de quoi il s'agit. Je suis un chef du personnel et les histoires de formation, ça me passionne.
LE CHEF - Eh bien, c'est à dire... la formation sert à... former. On a des fiches: c'est bien commode, ça explique.
LE CLIENT - C'est tout?
LE CHEF - Oui, je ne vois pas ce qu'on pourrait dire d'autre.
LE CLIENT - Ca n'est pas beaucoup. (didactique) Parce que la formation, en général .... Ça vous intéresse?
LE CHEF - Pour sûr que ça nous intéresse. Justement Suzanne me demandait... elle me demandait à quoi ça sert.
LE CLIENT - Je réponds! Premier but de la formation: satisfaire la clientèle existante et faire de nouveaux clients... Je parle comme un ingénieur-conseil.
LE CHEF - Il faut dire qu'on n'avait jamais pensé à ça. Nous les clients, on les a comme ça! (il claque des doigts) et on les traite bien. Mais de là à penser que la formation ...
LE CLIENT - Pourtant, c'est comme ça: et si votre formation passe à côté du client, c'est loupé.
SUZANNE - C'est bien ce que j'essayais de vous dire, monsieur Moustache,
LE CHEF - Taratata: tu avais surtout envie de me contredire, Mais, client, nous, non, on ne manipule pas.
LE CLIENT - C'est dommage: c'est agréable d'être bien manipulé! Mais attention: le client, ça n'est pas tout. Deuxième but de la formation: satisfaire la direction, c'est à dire faire des économies!
LE CHEF - Ah, ça, on l'avait senti. Il faut dire qu'ils insistent beaucoup là-dessus dans la maison. Ils sont même très durs!
SUZANNE - Pourtant c'est difficile: quand on ne fait pas d'économies, on peut gagner des clients, mais quand on en fait trop, on est sûr de les perdre ...
LE CLIENT - C'est très bien dit, Suzanne ... Méfiez-vous de trop d'économies! Et si vous voulez que je me résume: le but de la formation, c'est d'apprendre à satisfaire le client en dépensant le minimum d'argent,
LE CHEF - Ah, là vous avez trouvé la bonne expression! Mais ce n'est pas une chose qu'on nous avait dite!
LE CLIENT - Ou si vous voulez une formule encore plus concentrée: économiser sans perdre!
LE CHEF - Economiser sans perdre ... Ça, c'est plus trapu à comprendre. Mais comment savez- vous tout cela?
LE CLIENT - C'est que dans tous les métiers, c'est plus ou moins la même chose. Mais je dois reconnaître que le vôtre est particulièrement difficile. Gagner du client avec du caviar et du champagne: facile! En conquérir de nouveaux chaque jour sans presque bourse délier, avec des sourires et des poireaux... Meilleure formule encore: faire plus avec moins... très bon, ça. Donc, entre le client qui demande plus et la direction qui donne moins, vous avez besoin de réfléchir.
LE CHEF - Hélas! Terrible métier que celui de cuisinier: le jour n'a pas encore commencé sa course que déjà commencent à mijoter dans sa lourde tête...
SUZANNE - Le chef est un peu poète à ses heures.
LE CLIENT - Heureusement, Voulez-vous que je vous dise un secret: pour parvenir à réussir dans votre métier: plus avec moins, il faut en effet que vous soyez véritablement des artistes.
LE CHEF - Qu'est-ce que vous pouvez bien vouloir dire?
LE CLIENT - Il me vient une comparaison... Prenez deux tableaux dans une exposition: sur chacun il y a pour vingt-cinq francs de peinture: mais l'un d'eux n'est qu'une croûte et l'autre est peut-être un chef-d'œuvre que les riches collectionneurs se disputeront... Pourquoi?
SUZANNE - Dites toujours ....
LE CLIENT - Parce qu'il y a dans ce dernier tableau un "je ne sais quoi" que les autres n'ont pas. Vous me direz que ce n'est pas une explication. D'accord! Mais ça doit être la même chose en cuisine: il y a des restaurants qui ont trouvé le "je ne sais quoi" que les autres cherchent encore... ou ne cherchent même pas. Et ceux-là sont de bons restaurants,
LE CHEF - C'est vrai, ça ...
LE CLIENT - (regardant sa montre) Ça y est, c'est mon heure... Ce que je vous dis, c'est un truc... il faut y réfléchir. Et peut-être que la formation aurait quelque chose à y voir... La formation comme productrice du "je ne sais quoi"! Au revoir, Suzanne... Maitre, pardonnez-moi d'avoir interrompu vos réflexions et permettez-moi de prendre congé de vous. (il sort)

3
LE CHEF - II m'a appelé: Maître! Mais c'est vrai, ça, qu'on est des artistes!
SUZANNE - Il ne vous reste plus qu'à nous mettre à la recherche de ce 'je ne sais quoi" que les autres n'ont pas.
LE CHEF - Tu sais où ça s'achète?
SUZANNE - Il a dit que c'était une affaire de formation.
LE CHEF - Nous voilà bien avancés! Toi qui as de l'instruction, qu'est-ce que tu ferais à ma place?
SUZANNE -Moi? Vous voulez que je vous le dise?
LE CHEF - Oui.
SUZANNE - Vous ne m'en voudrez pas. Vous n'allez peut-être pas être de mon avis... .J'étais juste venue pour ni excuser.
LE CHEF - Si tu veux vraiment que je t'excuse, vas-y. Ah, si j'avais fait des études comme toi...
SUZANNE - Bon... Je crois... enfin j'ai l'impression que l'important, pour la formation... c'est qu'on en ait envie et que ce soit intéressant.
LE CHEF - Oui, bien sûr, mais... enfin, tu sais bien...
SUZANNE - Je veux dire: pas seulement que ce soit intéressant, mais qu'on y trouve son intérêt.
LE CHEF – Oui, c'est facile de dire ça... Qu'est-ce que tu veux dire exactement?
SUZANNE - Vous en connaissez beaucoup des gens qui font des choses qui ne les intéressent pas? Je rêve un peu, chef: il faudrait qu'ici on soit non pas comme des gens qui font chacun leur travail le nez dans le guidon, chacun pour soi, mais comme une équipe qui serait récompensée quand elle réussit à bien faire marcher le restaurant: et qui découvrirait que pour bien faire marcher le restaurant elle a besoin de formation ...
LE CHEF - Mais tu rêves! Tu sais bien comme ils sont tous.
SUZANNE - Bien sûr que je le sais: et c'est pour ça que je vous dis que la première chose, c'est qu'ils aient... comment vous dites? un objectif et surtout une prime quand ils l'atteignent. Si, par nos efforts, on augmente le nombre des clients, on diminue les frais et il n'y a pas de raison qu'on n'en profite pas! Et, si vous voulez mon avis, même la direction y gagnera. C'est paradoxal, mais pas tellement.
LE CHEF - Tu iras le leur dire ...
SUZANNE - Ils comprendront très bien! Ils l'ont déjà compris, d' ailleurs. Mais il faut quelque chose de simple, de facile à comprendre.
CLE CHEF - Pour sûr,
SUZANNE - La seconde chose, c'est l'équipe. Si chacun travaille dans son coin à faire toujours la même chose, pourquoi se former? Si au contraire on change de temps en temps de boulot, en fonction des besoins, pour se dépanner les uns les autres: d'abord, le restaurant marche mieux; ensuite ça distrait; et enfin, là, on a besoin d'apprendre. Et la formation, on la demande... parce que pour atteindre l'objectif et faire de la prime, il faut que toute l'équipe soit... comme ça.
LE CHEF - C'est très joli, tout ça. Dans la profession, d'habitude...
SUZANNE - Mais il y a une troisième chose: il faut aussi qu'on puisse s'organiser comme on veut. Si l'organisation tombe d'en haut, on est mal à l'aise et c'est difficile de dire aux gens qu'ils sont responsables de leurs objectifs.
LE CHEF - Là, je trouve que ça ne va pas si mal... On nous fiche bien la paix! Mais dis donc, toi qui parles si bien: tu ne voudrais pas t'en charger, de la formation?
SUZANNE - Moi! Si vous m'expliquez avant, pourquoi pas? Et vos comptes, pourquoi est-ce que vous ne les confieriez pas à Madeleine: elle en serait très capable. Ça vous donnerait le temps de vous occuper un peu des clients: ils vous réclament, vous savez... Vous voyez la polyvalence! Et Martine pourrait donner un coup de main à la caisse... On se mettrait tous à être capable de faire plusieurs métiers.
LE CHEF - Mais ça n'est guère possible,
SUZANNE - Je vous assure que si. Et je pense qu'on serait un peu plus considérés: ça ferait plaisir... parce que pour le moment! ...Quant à la formation, si vous voulez vraiment que je vous aide, je vous suggérerais de vous y prendre de la façon suivante...
LE CHEF – Vas-y. Je me méfie encore un peu, mais...
SUZANNE - Vous allez voir comme c'est simple. Chaque jour on note sur un grand tableau les embêtements qu'on a eus: avec les fournisseurs, à la cuisine, avec les clients, surtout... etc. Par exemple des œufs pas trop frais, un retard dans le service, une absence imprévue, une réclamation désagréable, un accident... ce que vous voudrez: même dans un service qui marche bien, il arrive toujours des choses ...
LE CHEF - Bon: je t'ai parlé de la formation, pas du mur des lamentations. Quand il y a des choses qui ne vont pas, il ne faut surtout pas le dire!
SUZANNE - Au contraire. Et chaque semaine on se réunirait pour parler des incidents: pourquoi est-ce qu'un client a fait une grosse colère, quelles en sont les causes profondes, qu'est-ce qu'il aurait fallu faire pour l'éviter... et ça peut aller très loin! Et vous pensez bien que tout le monde viendrait à la réunion: parce que ce serait vraiment pour tout le monde quelque chose de concret, et parce que chaque incident compromet la prime... Et la formation, avec ça elle se ferait toute seule! Alexis a eu un accident: comment aurait-on pu l'éviter, quelles sont les dispositions à prendre, comment l'accidenté est-il couvert par l'assurance, qu'est-ce que ça va coûter à l'entreprise. Mieux encore: s'il n'y avait pas eu une terrible engueulade entre Alexis et la caissière, l'accident aurait-il eu lieu?
LE CHEF - C'est juste tout ça. Mais est-ce qu'on aura assez de fiches?
SUZANNE - Il en faudra beaucoup d'autres mais on en aura tant qu'on voudra... En tout cas, ça passionnerait tout le monde ...
LE CHEF - C est pourtant vrai ce que tu dis. Ca les intéresserait. ..
SUZANNE - Exactement. Et pas besoin de prendre des notes sur des cahiers: comme on l'aurait vécu, ça se graverait là!
LE CHEF - D'où est-ce que tu sors toutes ces idées-là, Suzanne?
SUZANNE - Monsieur Moustache, j'ai eu de la chance, j'ai beaucoup roulé ma bosse... J'ai même fait un peu de psychologie ...
LE CHEF - Ah, de la psychologie!
SUZANNE - Il en faut beaucoup dans nos métiers. Peut-être même que c'est à la base de tout... Forcément, puisque le vrai problème, c'est de satisfaire le client et de satisfaire la direction. Et satisfaire, c'est de la psychologie. Même la cuisine, satisfaire l'estomac, c'est de la psychologie.
LE CHEF - Si c'est toi qui le dis... Mais tout ça, il fauchait que j'en parle à la direction.
SUZANNE - Naturellement... Enfin, vous en ferez ce que vous voudrez. C'est vous le patron, après tout. Moi j'étais juste venu m'excuser. Ca y est, c'est fait. Oh, là, là... je suis en retard: vous m'avez fait beaucoup trop parler! Vous voyez que, quand on s'intéresse aux choses, on ne voit pas le temps passer. Au revoir monsieur Moustache. (elle sort)

4 (au public)
LE CHEF - Vous avez entendu ça Qu'est-ce que vous en pensez? Il va falloir que je digère un peu ce qu'on vient de me servir. Ça fait beaucoup de nouveau: et c'était pas du réchauffé ...Et puis après, effectivement j'en parlerai à la direction. Je crois que ça en vaut la peine. Ce n'est pas votre avis? A moins qu'elle ne soit déjà au courant. On ne sait pas!