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à la S.A.C.D. (Société des auteurs dramatiques)

QUALITE, AMOUR ET FANTAISIE.

Par Michel Fustier


Un cadre, responsable dans son entreprise du développement de la "Qualité", applique des techniques qui permettent aux membres du personnel de résoudre eux-mêmes sur le tas les problèmes qu'ils rencontrent dans leur travail... Un beau jour, sa femme tombe par hasard sur un des manuels "Qualité" de son mari et se demande pourquoi ils n'appliqueraient pas la même technique à leur problèmes conjugaux, qui sont justement nombreux et conflictuels... Miracle, ça marche!

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Première partie

LUI - Tu t'es encore servi de mon rasoir pour t'épiler les jambes...
ELLE - Moi! Jamais de la vie.
LUI - Regarde ces poils! Les jambes et le reste…
ELLE - Traite-moi tout de suite de menteuse!
LUI - Ce n'est quand même pas moi qui... Cette couleur blondasse... C'est horrible, ces poils!
ELLE - Pourquoi, horrible?
LUI - Si au moins tu les enlevais… C'est tout de même facile de passer le rasoir sous l'eau... Tu mets ton doigt sur le trou du robinet et ça fait un jet. Regarde...
ELLE - Arrête! Tu en fais gicler partout... Ce n'est pas toi qui nettoies.
LUI - Je sens que ça va être ma faute.
ELLE - Je ne suis pas ta bonne.
LUI - Ah ça non! Tu n'es pas ma bonne...
ELLE - Heureuse de te l'entendre dire!
LUI - Tu serais plutôt ma mauvaise...
ELLE - Tu vas prendre une paire de claques!
LUI - Oui, ma mauvaise! Ta maison, c'est un foutoir. Et puis on ne sait jamais où tu es, tu rentres à point d'heure, avec tes bridges et tes leçons de yoga. Et tes changements d'humeur! Et les enfants que tu fais valser à droite et à gauche... Je suis sûr qu'en plus tu me trompes.
ELLE - Je sens que si tu continues, ça pourrait arriver.
LUI - C'est bien ce que je disais. Tu me trompes.
ELLE - Je dis seulement que ça pourrait arriver.
LUI - Toi, avec ta notion du temps! Tu mélanges tout. L'avant, l'après ... Je te trompe, je t'ai trompé, je vais te tromper. Tu ne sais même plus où tu en es.
ELLE - Prends bien garde!
LUI - Et avec qui?
ELLE - J'ai tout un choix.
LUI - Tant mieux pour toi. Je suis pas regardant.
ELLE – Alors de quoi te plains-tu? Des gars qui te valent, je t'assure. Ils te feraient même honneur...
LUI - Si en plus tu ne te rasais pas à sec! Je ne t'ai jamais. interdit de te servir de ma bombe à raser... Tu vois, cette lame de rasoir, elle est complètement foutue.
ELLE - Je ne pensais vraiment pas que pour une pauvre petite lame de rasoir...
LUI - Tu m'énerves! Si tu veux te tirer... bon débarras. Moi, je dois partir, j'ai mon cercle de Qualité aux laminoirs. Il faut que je les fasse tourner rond. Pas comme ici!
ELLE - Bon débarras moi aussi... Va t'en donc te faire laminer, toi et ta Qualité. (il sort)
ELLE - Qualité de quoi, au fait? Pauvre crétin!

Deuxième partie
I
LUI - Je suis navré, chérie... Je me suis énervé ce matin...
ELLE - Je m'en suis aperçue. Ca va mieux?
LUI - Excuse-moi encore. (il veut l'embrasser mais elle se détourne) ...Tu m'en veux?
ELLE - Oui.
LUI - Ah bon! Je pensais...
ELLE - Il faut qu'on règle ça... Pour une fois que je suis à la maison!
LUI - Si tu veux. (un temps) Les enfants sont couchés?
ELLE - Oui.
LUI - Qu'est ce que tu lis?
ELLE - C'est ton bouquin: Qualité Totale et Cercles de Qualité. Tu l'avais oublié.
LUI - Ca n'a pas d'importance. Je le sais par cœur. Ca t'intéresse?
ELLE - Beaucoup.
LUI - Je suis content que ça t'intéresse. C'est un livre de base.
ELLE - Tu le sais vraiment par cœur? On ne dirait pas.
LUI - Ah oui! Pourquoi?
ELLE - Parce que ici tu n'en fais aucune espèce d'usage. Mais c'est vrai que c'est un livre de théorie...
LUI - Qu'est ce que tu veux dire, aucune espèce d'usage?
ELLE - Aucune espèce d'usage pratique. Je lis: "Quand les membres d'un atelier, d'un bureau ou d'un service ont un problème, ils se réunissent et ils en parlent."
LUI - C'est évident. C'est aussi pratique que théorique.
ELLE - "Et ils n'en parlent pas pour le plaisir d'en parler ou pour se faire des reproches mutuels, mais pour analyser les causes du... dysfonctionnement..." Qu'est-ce que c'est exactement qu'un dysfonctionnement?
LUI - Quelque chose qui ne va pas, du grec dys... qui va de travers, qui tourne mal, comme dyslexie, dyspepsie, dysenterie. En médecine, il y a des tas de mots qui commencent par dys... Forcément, toutes les maladies.
ELLE - Ca va, j'ai compris, c'est ce que je pensais. Donc: "pour analyser les causes du dysfonctionnement...
LUI - (citant par cœur) ...trouver et mettre en œuvre les moyens de faire disparaître ces causes." Tu vois.
ELLE - Bravo! Et ça marche?
LUI - Ca marche joliment bien!

II
ELLE - Tu sais ce qui me ferait plaisir?
LUI - Non... Tu arrêterais de faire la tête?
ELLE - Oui... C'est qu'à nous deux on fasse un petit cercle de Qualité.
LUI - Faudrait être plus nombreux: à deux c'est un peu juste! Pour faire quoi?
ELLE - Tu ne trouves pas qu'entre nous il y a du dysfonctionnement dans l'air?
LUI - Mais enfin tu rêves! Ah non, fous-moi la paix... Ces méthodes ne sont pas faites du tout... Enfin c'est pour le boulot! Exclusivement.
ELLE - Tu n'as pas assez d'imagination pour faire une simple transposition? Moi, je me dis: pourquoi pas en famille? Depuis le temps qu'entre nous ça dys... comme tu dis! Disjoncter, ça vient aussi du même mot?
LUI - Je ne crois pas... Disjoncter, il y a un i, pas un y... ce serait plutôt une coupure, un arrêt.
ELLE - Alors si tu ne veux pas qu'entre nous ça dysfonctionne au point que ça finisse par disjoncter complètement... Tu ne veux pas, tu as peur?
LUI - Peur de quoi?
ELLE - (lisant) "La pratique des cercles de qualité suppose et exige de la part de leurs membres une forte capacité de remise en cause..." Je ne comprends pas: tu lis des bouquins avec ta tête, tu répètes comme un perroquet ce qu'ils contiennent, mais tu ne les vis pas. Tu as peur de la remise en cause?
LUI - Je t'en prie. C'est facile de dire ça! Va voir à la boite ce que je fais. La remise en cause c'est mon métier...
ELLE - Si c'est ton métier, fais-moi une démonstration.
LUI - Écoute, j'ai faim...
ELLE - Je regrette: j'ai lu tout l'après-midi, je n'ai pas eu le temps de préparer le dîner. préparer le dlner...
LUI - Mais...
ELLE - Et je n'ai pas l'intention de le préparer avant que nous ne nous soyons livré à... cette petite opération.


III
LUI - Tu plaisantes?
ELLE - (silence très expressif)
LUI - Bien! Je suppose que je n'ai qu'à obtempérer... Première erreur: dans les cercles de qualité il n'y a que des volontaires.
ELLE - Ca dépend entièrement de toi... Si tu veux ton dîner!
LUI - Je te trouve vraiment gonflée! Si tu crois que je ne suis pas capable de me faire un dîner tout seul
ELLE – Vas-y donc…
LUI - (résigné) Bon, d'accord. Je suis volontaire.
ELLE - Je ne fais pas ça contre toi: je fais ça pour nous.
LUI - Bien sûr, bien sûr... Tu sais, les bonnes paroles, je sais faire.
ELLE - Peut-être que je vais en prendre plein la figure... La remise en cause, je vais probablement y passer.
LUI - Effectivement... Ca ne te ferait pas de mal. Mais je me méfie quand même de ce que tu vas aller imaginer.
ELLE - Je n'imagine rien, j'applique. Bon, alors, comment est-ce qu'on s'y prend?
LUI - C'est à moi que tu le demandes?
ELLE - Tu es le spécialiste, non?
LUI - Mais avant laisse-moi prendre un petit apéro.
ELLE - Tant que tu voudras. Rien de tel qu'un peu d'alcool pour vous libérer de vos inhibitions, comme ils disent.
LUI - (il se sert) Tu n'en veux pas?
ELLE - Non... Je me sens déjà bien assez libérée comme ça. Ton bouquin m'a comme saoulée… Alors, qu'est-ce qu'on fait?

IV
LUI - (s'installant) Eh bien, c'est quoi exactement ton dysfonctionnement?
ELLE - On passe son temps à s'engueuler... "Mon" dysfonctionnement! C'est le mien et c'est aussi le tien.
LUI - Disons que c'est le nôtre! Oui, c'est vrai qu'on passe du temps à s'engueuler... Ca ne m'amuse pas.
ELLE - Et ne me dis pas que ce matin, c'était seulement parce que j'avais laissé des poils dans ton rasoir. Ca venait de bien plus loin.
LUI - Mais pas du tout... Surtout, ne fais pas de psychologie! …Enfin c'est bien possible...
ELLE - Alors, encore une fois, qu'est ce qu'on fait? Un constat chiffré, pour commencer?
LUI - Oui, bien sûr...
ELLE - J'ai déjà préparé quelque chose... enfin ça ne porte que sur le mois dernier: six engueulades, dont trois devant les enfants, trente-six heures à faire le tête, cinq portes claquées, trois paires de gifles, quatre nuits chambre à part, trois boites d'aspirine, trois flacons de Whisky, deux tubes de somnifère…
LUI – Ah, pour être chiffré! ...Tant que ça?
ELLE - Oui.
LUI - Mis bout à bout, ça fait beaucoup.
ELLE - Tu es d'accord...? Consensus sur le problème: c'est déjà quelque chose. Et qu'est ce qu'on fait après?
LUI - Eh bien, brainstorming pour chercher les causes. Pourquoi est-ce qu'on se dispute? Ce matin, hier, les autres jours... Ce qu'il faut faire, c'est trouver le pourquoi, c'est très simple.
ELLE - Alors pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas fait plus tôt?
LUI - Taratata: c'est très simple en théorie. Mais tu vas voir que ça ne va pas être commode.
ELLE - Pourquoi? On peut parler de tout...?
LUI - Bien sûr.
ELLE - C'est toi qui l'as dit. Vas-y, commence…
LUI - Ah mais... Si je te livre tous mes secrets!
ELLE – Ah! Parce que ce tu as des secrets?
LUI - Eh bien... Oui... J'ai des cartes dans mon jeu: si je te les montre...
ELLE - Qu'est ce qu'il y a d'écrit page 237, en bas?
LUI - Le dernier paragraphe?
ELLE - Oui.
LUI - Je lis: "On s'apercevra très rapidement que le bon fonctionnement d'un cercle de qualité conduit les participants à se séparer de leurs informations, même des plus secrètes, celles dont chacun se servait pour manipuler les autres."
ELLE - Tu vois!

V
LUI - Je vois... Eh bien, la salle de bains: je ne sais pas comment ça se fait, mais chaque fois que je veux y aller tu y es.
ELLE - Tu veux dire que chaque fois que j'y suis, tu viens cogner à la porte.
LUI - Écoute, si tu ne veux pas entendre ce que je dis... Regarde page 154.
ELLE - (elle feuillette) "Il faut accepter les faits tels qu'il sont énoncés. Les gens n'ont pas toujours raison, mais ils disent généralement ce qu'ils sentent." ...Bien, continue. Après la salle de bain considérée comme une bonne occasion de râler...
LUI - Oh, c'est facile: tu as de trop gros mollets, tu es toujours en retard, on ne sait jamais à quelle heure on va dîner, tu t'occupes mal des enfants! Je ne dis pas que tu ne les aimes pas… Tu laisses traîner la vaisselle sale sur la table après le déjeuner. Tu fais la tête quand j'amène des amis... Et les dimanches après-midi, quand on va chez ma mère...
ELLE - J'aurais envie de faire des grandes ballades, moi! Mais dis donc, ça vient bien. On dirait que c'était tout prêt... C'est tout?
LUI - Certainement pas! Mais... A toi, un peu, ça me fera revenir les choses.
ELLE - A moi! Bon... Pour parler dans ton style... Tu rentres et tu te plonges dans ton journal: ça ne me donne pas particulièrement envie d'assister à ton retour. Tu es exaspérant de régularité: moi j'aurais besoin de fantaisie. Tu me fais l'amour à la sauvette, toujours de la même façon, toujours à la même heure...
LUI - Un peu de pudeur, tout de même.
ELLE - C'est quoi la pudeur? Je ne peux pas te dire ça?
LUI - Pas comme ça... S'il faut vraiment que tu le dises, ça peut être plus subtil.
ELLE - Quand je suis subtile, tu ne comprends pas. Je continue: tu ne lèves jamais le petit doigt pour m'aider à la maison... Ne dis pas le contraire! Et puis ça m'énerve d'avoir toujours à te demander de l'argent... Tu ne sens pas ces choses?
LUI - Je ne t'en ai jamais refusé.
ELLE - Rien que le mot que tu viens d'employer: refuser. C'est un mot de chef, ça! Tu n'es pas mon chef!
LUI - Ton chef! Oh, mais dis donc! Tu donnes dans tous les bateaux. Tu explores les profondeurs…
ELLE - Tu ne crois pas que c'est dans les profondeurs que... Moi, en tout cas, c'est là que c'est noué (elle montre son estomac). Je suis déjà assez ennuyée de ne pas avoir ta culture, tes diplômes. De ne pas gagner moi-même mon argent.
LUI - C'est pour ça que tu jettes le mien par les fenêtres?
ELLE - Pas le tien, le nôtre... Peut-être! …C'est aussi une des causes que tu vas invoquer?
LUI - Certainement... Tu vois, je n'y avais même pas pensé tout de suite. Pourtant avec ma paye, on devrait faire attention.
ELLE - L'argent a beaucoup trop d'importance pour toi. Je te l'ai souvent dit. (un temps)

VI
LUI - Bon, si c'est comme ça que la discussion s'engage... Je ne refuse pas d'aller au fond, mais je te le répète, j'ai faim. Je regrette, mais je suis comme un bébé: il faut que je dîne à mes heures, sans ça, non seulement je deviens méchant, mais je n'écoute plus... Prends page 412.
ELLE - (elle feuillette) "Il faut tout faire pour mettre les membre d'un groupe dans un état de calme et d'euphorie" ...Tu veux te défiler?
LUI - Non: je veux me mettre dans un état de calme et d'euphorie. Après nous y passerons toute la nuit si tu veux. Je peux même m'arranger pour rester demain. Je n'ai oublié aucune des causes que tu as citées...
ELLE – Alors, viens: le dîner est prêt. Je m'attendais tellement à ce que tu viens de me dire... Je voulais seulement te faire sentir que ce n'est pas toujours commode de vivre avec toi.
LUI - Tu es une bonne fille... Je te promets qu'après...
ELLE - Non, non! Je ne te demanderais jamais de changer les rythmes de ton estomac, ce serait trop cruel. Mais pour le reste, je te crois. Jamais je ne t'ai reproché de ne pas faire ce que tu promettais.
LUI - Merci, ma chérie. Pendant que tu feras réchauffer, je mettrai le couvert: tu vois!
ELLE - Tu saurais faire? Miracle!
LUI - Dis donc! Et la remise en cause? (ils sortent)


Troisième partie

LUI - Quelle heure est-il?
ELLE - Quatre heures et demi, je crois... D'ailleurs, le jour se lève.
LUI - On aura encore le temps de dormir deux heures. Alors, tu résumes, puisque c'est toi qui a pris des notes: les solutions!.
ELLE - D'abord, toi, tu tolères... non tu admets... Je dirais même que tu aimes que j'aime passer une heure dans mon bain. Et pour éviter de porter atteinte à cette excellente résolution, avec ta prime de fin d'année, on fera installer une seconde salle de bain. C'était tellement simple.
LUI - C'est bien d'accord.
ELLE - Ensuite tu t'engages à me dire au moins trois mille mots par jour.
LUI - Il me semble qu'on avait traité à deux mille.
ELLE - Écoute, trois mille ça fait vingt-huit minutes. Tu peux bien me donner vingt-huit minutes. Tu bricoleras un petit ordinateur et, chaque fois qu'on entendra ta voix dans la maison, il comptera les minutes. Ca servira de feuilles de relevé. En cas de déficit dans la semaine, tu récupères le dimanche... Il faut qu'on communique. C'est un minimum...
LUI - Bien...
ELLE - Je t'assure que déjà avec ça, les choses iront déjà beaucoup mieux.
LUI - Mais qu'est ce que je vais bien pouvoir trouver à dire.
ELLE - N'importe quoi: que tu parles seulement! Ensuite, moi, je lâche le bridge et je me trouve un petit emploi dans l'après-midi. On tâchera de dégoter quelque chose d'intéressant. Ca me coûte, tu sais, de ne plus pouvoir courir à droite et à gauche. Mes amies vont se demander ce qui se passe! Mais ça m'ouvrira l'esprit... D'accord.
LUI - Je suis finalement enchanté de ce point de notre convention. Ca me gênait que ma femme travaille, mais maintenant j'ai compris, je suis convaincu.
ELLE - Tu as bien pris ton temps, mais enfin ça y est. Autre point… C'est toujours moi qui parle, mais ce n'est que le compte-rendu de nos discussions, d'accord?
LUI - Tout à fait.
ELLE - Donc, autre point: je veux bien continuer à m'occuper du ménage... D'ailleurs je n'aimerais pas que ce soit toi qui me fasses la cuisine! Mais toi, tu t'occupes du travail des enfants, tu vas voir leurs professeurs... etc. etc. Tu as beaucoup plus d'autorité que moi.
LUI - Je tâcherai.
ELLE - Eh non, il ne faut pas tâcher, il faut faire. Qu'est ce qu'on pourrait trouver comme indicateur?
LUI - Je ne sais pas... Le temps que j'y passerai?
ELLE - Mais non. Ca ne signifie rien. Certains jours ça peut prendre très longtemps et d'autres rien du tout. Et puis si tu leur apprends à travailler tout seuls, tu n'auras plus rien à faire.
LUI - Les notes alors?
ELLE - Excellent! Oui. c'est ça, les notes. C'est un "indicateur global" Tu t'engages à ce qu'ils n'aient pas moins de... combien? Quinze sur vingt... entendu quinze sur vingt. Facile à mesurer.
LUI - Donne-moi quinze pour Julien et treize pour Agnès.
ELLE - Pourquoi est-ce que tu fais cette discrimination?
LUI - Il faut pousser un peu Julien, c'est un garçon.
ELLE - Tout mais pas ça. Julien, douze: il s'en tirera toujours. Agnès, dix-sept. D'ailleurs les filles sont bien plus intelligentes que les garçons. C'est dit... Quoi encore? Ah oui, l'argent! Je m'ouvre un compte et toi, l'argent du ménage, tu me le vires en début de mois, globalement, comme ça, sans discuter. Et on est d'accord pour que ce que je gagne moi, ça me fasse un peu d'argent de poche... Je te ferais de petits cadeaux de temps en temps.
LUI - Entendu. C'est tout?
ELLE - Ah si! L'essentiel... A partir de maintenant, tu me fais l'amour à la demande. Et on achètera le Kâma-Sûtra... tu sais, les positions, je t'ai expliqué. Ca te donnera un peu d'imagination. Je n'aurai plus du tout envie d'aller chercher ailleurs... Il faut te faire à l'idée que je suis très sensuelle!
LUI - Tu ne penses pas que moi, je suis trop... rationnel pour ce que tu me demandes? Il faut aussi que ça me fasse envie!
ELLE - Très bien, chéri: que tu aies des "envies", je ne demande que ça... Parfait!
LUI - Mais tu penses que j'y trouverai vraiment du... plaisir, comme tu dis?
ELLE - Dis donc, tu ne sais pas ce que c'est que (elle feuillette le livre) la "relation client-fournisseur interne". Du plaisir, c'est le "contrat". Je m'y engage, je signe.
LUI - Tu prends des risques! Et là, qu'est ce qu'on pourrait trouver comme indicateur? Il faudrait un système de mesure qui fasse rentrer… le subjectif dans l'objectif!
ELLE - Si tu deviens grivois!
LUI - Qu'est ce que j'ai dit?
ELLE - (riant) Faire rentrer le subjectif dans l'objectif (geste). C'est papa dans maman, ça, comme disent tes ajusteurs.
LUI - Si tu te mets à tout entendre de travers.
ELLE – Pourquoi est-ce que tu rougis? ... Si mon pudique mari pouvait renouer avec la liberté des enfants de Dieu! Enfin, tout ce que t'as si bien enlevé ta malheureuse éducation. Vous autres ingénieurs, vous passez votre vie à caresser des machines. Mais dès qu'il s'agit de femmes...
LUI - Oh, ça par exemple: tu es jalouse?
ELLE - Tu ne comprends pas que si j'ai de la peine à voir ta mère, c'est pour ça: tout ce qu'elle a cassé en toi! Mais enfin ça va. J'irai lui rendre visite en souriant, avec des fleurs, une fois tous les deux mois. Promis... On a fait le tour, je crois.
LUI - Il reste des points de détails.
ELLE - On ne va quand même pas s'enlever toutes les occasions de se chamailler. Le bonheur continu serait fade. La dispute, c'est le sel de la vie!
LUI - Je ne te comprends pas bien... Mais enfin je suis d'accord: si on fait ce qu'on a dit, ça n'est déjà pas mal! On risque même d'être beaucoup plus heureux.
ELLE - J'espère bien... Mais dis donc? Ce que nous avons fait, c'est de la Qualité ou de la Qualité Totale?
LUI - Ah! Mis à part ce que tu as réservé pour la chamaillerie, c'est de la Totale, sans aucun doute.
ELLE - Je suis tout de même un peu déçue. Je croyais que la Qualité, surtout la Totale, c'était très difficile. Il me semble que ce sont des choses qui relèvent tout bêtement du bon sens.
LUI - Oui, mais ne simplifie pas trop: c'est sérieux quand même!
ELLE - Avec ton sérieux! Mais non, c'est très amusant! Tu ne trouves pas que c'est drôle, ce qui nous arrive. Et que si nous n'avions pas été si... enfin si nous avions été... enfin plus marrants, toi surtout, ça nous serait arrivé depuis longtemps?
LUI - Tu as peut-être raison... Mais tu sais, quand je recommence à avoir faim, rien ne me paraît plus drôle du tout.
ELLE – Pardon! Mon pauvre chou, je suis navré. Je vais te faire un solide petit déjeuner... J'oubliais mes promesses. Viens, j'en ai pour dix secondes.
LUI - Attends un peu... Tu sais, à la réflexion, ton petit boulot de l'après midi... Je me demandes si tu ne pourrais pas, enfin avec quelques notions théoriques en plus, aller faire marcher des groupes de qualité. On recherche partout de bons animateurs.
ELLE - Tu crois? Je saurais? Ce serait formidable.
LUI - Il me semble que tu as un certain sens inné de... l'efficacité!
ELLE - C'est passionnant Allons-y: je te sers ton petit déjeuner et tu m'expliqueras ça.

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